Review of Metropolis following the French release
22 OCTOBRE 1927
P. 5
Courrier Cinématographique
"Metropolis"
Ce film géant résume et termine toute une période technique de la cinégraphie allemande. C'est très probablement le dernier film européen obtenu à coups de millions. Cette surenchère progressive avait été imposée à l'Ancien-Monde par la concurrence américaine, mais on commence à comprendre un peu partout qu'il est absurde de vouloir lutter avec le dollar sur un pareil terrain.
L'auteur de "Metropolis" est bien connu dans les milieux artistiques de Paris. C'est Fritz Lang, l'auteur des "Nibelungen", qui fréquenta longtemps, en sa qualité de peintre, les ateliers de Montparnasse. C'est à sa femme, la poétesse Théa von Harbou, que, cette fois encore, il a demandé son scénario. Sa collaboratrice a peut-être simplifié un peu trop arbitrairement son sujet. Abordant le redoutable problème des rapports du capital et du travail dans la cité future, tout en se défendant de se livrer à une anticipation volontaire, l'auteur a opposé l'un à l'autre des concepts trop absolus, traités avec une rigueur excessive. Rien dans l'évolution actuelle de la classe ouvrière et dans les conditions présentes du labeur ne l'autorisait à conclure que le travail manuel conduit au plus humiliant des esclavages. Dans ce film, l'ouvrier d'usine est un invraisemblable forçat qui mène une existence effroyable, dans une ville souterraine, sans avoir jamais la permission de voir la lumière de jour, alors que ses maîtres savourent sur des terrasses ensoleillées une vie de voluptueuse féerie.
D'autre part, il est, dans ce scénario, un postulat également contraire à la réalité des faits. Nous nous trouvons là dans une civilisation où le machinisme a fait des progrès inouïs. Or, la machine y a réduit l'individu à un servage musculaire qu'elle a précisément pour mission d'abolir. Pour déplacer, sur un cadran, des aiguilles directrices, l'ouvrier s'épuise en efforts surhumains, alors que l'orgueil des ingénieurs qui domestiquent les fluides est d'imposer leur volonté aux forces les plus redoutables, à l'aide d'effleurements, de pressions imperceptibles et de gestes légers. Il est logique de penser que tous les progrès des constructeurs tendront à substituer le moteur aux biceps et que, de plus en plus, il suffira de déplacer une manette et de tourner un commutateur pour déchaîner l'ouragan de la vapeur, de l'air comprimé ou de l'électricité.
La conception générale de cette œuvre pèche donc gravement par sa base. L'ouvrage est, de plus, gâté par une conclusion trop visiblement américanisée dans un intérêt commercial. Mais, ces réserves faites, il faut proclamer l'intérêt exceptionnel d'une telle réalisation qui, au point de vue technique, marque une date dans la production internationale.
Jamais les Américains n'étaient parvenus à une telle perfection technique et n'avaient surtout réussi à nous donner l'impression d'un emploi aussi intelligent d'un budget illimité. La virtuosité de la prise de vues dépasse tout ce qui nous avait été offert jusqu'ici, non seulement par la hardiesse de la conception et la grandeur des réalisations, mais par un esprit essentiellement cinégraphique et par un rythme souverain. Ce rythme est personnel à l'auteur. Il n'est pas pris dans la vie. Il ne doit rien à l'observation. Il s'élève à la dignité d'une idéologie. C'est un très grand exemple appliqué à un sujet discutable, mais qui s'impose irrésistiblement. Amis et ennemis de l'écran doivent aller prendre connaissance de ce document unique, autour duquel s'éterniseront des discussions sans fin, mais qui représente, dans la production mondiale, une étape décisive vite franchie, sans doute, mais qui, de longtemps, ne sera pas oubliée.
Emile Vuillermoz.
2009-02-05